VISITE D'ATELIER

par Emmanuel de Waresquiel

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Il faut toucher ! En entrant dans l’atelier de Carole de Durfort, rue Clerc, dans le septième arrondissement de Paris, on éprouve une irrésistible envie de se saisir de ce qui est là : des dizaines d’objets et de vases de formes et de couleurs différentes, assez peu sagement alignés sur des étagères. Mais ce ne sont pas les formes – des galets plats de toutes les tailles, des vases à col long comme dans une fable de La Fontaine, à col renflé ou cintré, des lignes courbes, des lignes droites ; ce ne sont pas les couleurs – des bleus profonds, des rouges Kaki, des gris tigrés, ocellés, mouchetés, des roses, des verts Céladon – qui vous attirent d’abord. C’est la matière. Comment expliquer cela ?

C’est brillant, presque translucide, cela a de la profondeur, de l’inattention, de l’inattendu. C’est plein de replis, de taches, de zébrures, comme des peaux d’animaux, du sable et de la terre érodée par l’eau et le vent. Mais, par-dessus tout, c’est vivant, presque charnel. Carole de Durfort fixe ses paysages en superposant des couches d’émail . Les pigments donnent la couleur . Pour le rose, du chrome et de l’étain, et du cobalt pour le violet m’explique-t-elle. La poésie aussi est une alchimie.

Fance Franck surtout qui l’a beaucoup marquée, et lui a transmis la méthode et la pensée de Francine Del Pierre. Elle est restée deux ans, jusqu’en 2008, dans son atelier de la rue Bonaparte. Elle me parle d’elle, de sa discipline de fer, et en même temps de la liberté qu’elle accordait à ses élèves, comme si elle était présente. C’est là que je trouve le fil qui relie le maître à l’élève, dans ce subtil mélange de simplicité et de raffinement qui est aussi celui de leurs objets à toutes les deux.

On voit bien que ce qui compte pour Carole au delà de son attirance pour l’Art nouveau, derrière les Rakus japonais que collectionnaient ses parents et dont elle a gardé le souvenir, derrière ses maîtres et derrière la couleur, est dans ce qu’elle ne dit pas. Quelque chose qui tient au respect du travail de l’homme, à de la tendresse, à de l’enthousiasme aussi pour ce que les mains et le corps de l’artiste savent faire de l’esprit humain, à de la fascination pour ce miracle de la nature et de la matière capturées et comme apprivoisées dans l’immobilité des surfaces et le scintillement de leurs reflets.

Avec elle, le geste de l’artiste est aussi un acte de foi. Il s’accorde à l’extrême dépouillement de son atelier, lorsque chaque chose est à sa place.

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L’atelier est caché au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble. Par la fenêtre entre la lumière un peu grise d’une cour fermée. La pièce consacrée à l’émaillage ressemble, elle, à un laboratoire. Des sceaux de mélanges divers, des fioles de pigments, des formules chimiques, des noms magiques, des pourcentages. Le four est dans un autre endroit, plus bas, dans la cave. C’est l’antre des malices. Les dix heures de cuisson à 1260° du biscuit de terre enduit d’émail, les vingt-quatre heures supplémentaires que demande son refroidissement, décideront du résultat. Malgré la maîtrise et l’expérience, les effets ne sont jamais tout à fait ceux auxquels on s’attend.
C’est la part du feu.

Je regarde et j’écoute. Carole de Durfort me parle de la matière, du silence, du rapport très particulier qu’elle entretient avec le temps, hors du temps, dans la séquence du geste efficace, dans la précision et l’économie de son geste lorsqu’elle façonne ses objets, lorsqu’elle les enduit de leur couverte. Elle a des « envies » de formes, dit-elle. Elle songe à travailler d’autres matières, à habiller ses objets de bronze ou d’argent. Pour éviter de parler d’elle, elle évoque ses influences, ceux chez qui elle a travaillé. Daniel de Montmolin, « mon grand maître pour les émaux » dit-elle, de qui elle a repris la formule de la Cendre de chêne, un émail onctueux auquel elle ajoute des oxydes de cobalt, de nickel, de chrome, de cuivre et de fer.